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Vincent Lemire, historien : « Il faut construire un “camp de l’apaisement” contre la complicité criminelle qui unit Yahya Sinouar et Benyamin Nétanyahou »

Comme l’aube d’un soleil noir, le tragique anniversaire du 7 octobre 2023 se dessine à l’horizon de nos consciences exténuées. Loin de nous éclairer, il nous aveugle et nous terrifie. Pour lui échapper, on se couvre les yeux. Pour ne pas affronter l’effrayant bilan de presque un an de guerre, on se bouche les oreilles. Il faut pourtant résister à cet engourdissement. Il faut se souvenir, nommer, compter et regarder.
Le 7 octobre 2023, plus de 1 100 Israéliens ont été massacrés par les terroristes du Hamas, selon le bilan officiel des autorités israéliennes, qui ont dénombré parmi les victimes près de 800 civils, dont presque un tiers de femmes et d’enfants. C’est l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire d’Israël. Elle correspondrait, à l’échelle de la France, à un attentat qui aurait coûté la vie à 9 000 personnes, en une seule journée, dont 3 000 femmes et enfants.
Depuis, plus de 40 000 habitants de Gaza ont péri sous les bombes de l’armée israélienne, selon le bilan du ministère de la santé du Hamas, qui ne peut dénombrer que les cadavres sortis des décombres et identifiés. Parmi eux, plus des deux tiers sont des femmes et des enfants. A l’échelle de la France, cela correspondrait à 1,5 million de morts, dont 1 million de femmes et d’enfants.
Au printemps, l’ONU a comparé ces terribles statistiques à celles des récents conflits armés les plus meurtriers, et le verdict est implacable : pendant les quatre premiers mois de la guerre, plus d’enfants ont été tués à Gaza que pendant ces quatre dernières années dans l’ensemble des conflits armés à travers le monde.
Ces chiffres sont vertigineux, mais au lieu de nous sortir de notre torpeur, ils agissent désormais sur nous comme des anesthésiants. Pour les faire parler, il faudrait transfigurer chacun d’eux en autant de visages, d’histoires, de regards.
C’est possible pour les victimes israéliennes, dont la presse peut nous raconter la vie et nous rapporter la mort. C’est possible pour le jeune Hersh Goldberg-Polin, 23 ans, abattu à bout portant d’une balle dans la tête dans un tunnel de Gaza, il y a quelques jours, après onze mois de détention. Le jour de ses funérailles, l’ancien ministre Benny Gantz a accusé Benyamin Nétanyahou d’avoir « protégé sa coalition plutôt que sa population » en ayant refusé l’accord de cessez-le-feu et de libération des otages, piétinant ainsi le devoir de protection des citoyens, contrat moral fondateur de l’histoire d’Israël.
Il est plus difficile de donner un visage aux morts palestiniens, car la presse internationale n’a aucun accès à Gaza et parce qu’au moins 130 journalistes locaux y ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Grâce à eux, on connaît cependant l’histoire de Hind Rajab, une fillette de 6 ans assassinée avec toute sa famille alors qu’elle tentait de fuir les combats, en février, après avoir appelé les secours depuis une voiture criblée de balles ; son corps n’avait été retrouvé que douze jours plus tard.
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